On est là pour garder les brebis, pas pour ramasser les cadavres !


Jean Bénazet de Biert a passé 11 ans sur les pentes du Mont Rouch et 29 sur celles du Port de Salau à Pouilh. Cette longévité dans ce milieu difficile est due au grand professionnalisme et à l’amour qu’il voue aux ovins et à la montagne. Souhaitant lui aussi s’exprimer dans cette révolte du Couserans, il dresse un tableau bien sombre de l’avenir du pastoralisme et de l’économie montagnarde. C’est la voix remplie d’émotions qu’il raconte :

« Tant que je suis chez moi je ne veux pas penser à l’enfer qui m’attend là haut, à l’angoisse qui est la mienne durant la saison d’estive.

 

L’année dernière on a eu 30 attaques et plus d’une trentaine de brebis se sont retrouvées au tapis. Quand on rassemble les bêtes, au moment de les compter, parfois celles qu’on voyait tous les matins ne s’y trouvent plus. On perd de tout : les plus jolies, les béliers, les agnelles, etc. Des fois, quand t’as eu une attaque, tu ne sais pas où se trouvent le(s) cadavre(s) et quand les vautours plongent… : tu sais.

 

Il y a deux ans, un dimanche matin, je suis allé ramasser les brebis. Et là, je me retrouve seulement avec 4 ou 5 brebis… Je ne trouvais pas les miennes et tu ne penses jamais au pireLes vautours ont plongéOn est là pour garder les brebis, pas pour ramasser des cadavres ! Là, ce n’était même plus des cadavres, il ne restait que des os et les restes des petits qu’elles portaient… Un véritable charnier! T’imagine l’état d’esprit dans lequel on est ? Comment on peut arriver à vivre ça ? à le surmonter ?

 

Depuis que l’ours à été réintroduit notre métier à complètement changé. Il faut en permanence scruter le ciel pour repérer le vol des vautours annonciateurs de catastrophe, il faut être constamment à l’affut du moindre mouvement inhabituel du troupeau rythmé par le bruit des cloches. Tout cela implique des mouvements incessants sur l’estive, il faut en permanence et par tout temps, monter, descendre, aller, venir. On passe notre temps à gérer des problèmes qui sont difficilement gérables !

 

Ce qu’il faut dire aussi et dont personne ne parle, c’est que le comportement des brebis à changé. Elles se sont fait tellement de fois attaquer sur leur dortoir habituel qu’elles en ont changé et elles ne pacagent plus certains endroits. Ça me prend aux tripes toute cette herbe… ! »

Jean ne peut évoquer, tellement la colère est forte, intériorisée, inexprimable, la catastrophe de l’été 2013 et le fait d’avoir descendu à la cabane sur ses épaules, durant 2 heures, une brebis qui avait 3 pattes cassées. Il reprend alors la parole :

 

« J’ai cru comprendre que certains avaient vu l’ours et n’avaient pas eu peur. Ce n’est pas mon cas ni celui du stagiaire que j’avais à l’époque. Un matin, nous avons repéré sur le versant espagnol un ours qui montait vers la crête à très grande allure. Nous avons eu beau gueuler, faire aboyer les chiens, nous avons eu très peur et nous avons dû quitter, a grandes enjambées le sentier pour le laisser passer. J’aurai bien aimé voir certains de ceux qui sont pour ce genre de réintroduction dans ces conditions...

 

Comment voulez vous que dans ce contexte on vive sereinement notre métier ? c’est l’enfer, le stress permanent. On ne sait pas comment sortir de cette situation.

 

Avant tous ces ours, on était plus nombreux sur l’estive, maintenant il n’y a plus personne. On monte 1400 brebis alors qu’avant on était au double. On redescendait l’esprit tranquille et avec les bêtes en bon état. Les touristes se régalent quand ils voient que c’est vivant et que le milieu est ouvert. Qu’est-ce qu’on était tranquille avant ».

 

La situation actuelle est catastrophique et signe la fin du pastoralisme :

 

« On est considéré comme des ploucs et si nos dirigeants souhaitent que la broussaille envahisse nos montagnes et signe la fin du tourisme, continuons ainsi. On était pourtant arrivé à créer un blocage au niveau des décideurs. Je pense qu’on peut encore y arriver ».



03 Juin 2016