L'ours n'est plus là, mais le loup reste


Gérard Tauriac est éleveur de brebis tarasconnaise, il fait parti du Groupement Pastoral des Bésines et ses bêtes estivent notamment dans le secteur du barrage du Lanoux où il y a eu de gros dégâts. L’estive est située en Haute Ariège, où l’ours n’est plus. Gérard revient sur l’expérience qu’il a pu avoir avec l'ours et celle qu’il a toujours avec le loup.

« Le Groupement existe depuis 1987, on a embauché un berger à mi-temps au début, il n’y avait pas d’ours, pas de loup et moins de bête. Sans prédation, le mi-temps était suffisant. On n’a pas attendu qu’il y ait de la prédation pour créer un poste à plein temps. L’estive est à 25km et à l’époque il y avait des chiens errants, on a fait ça pour être tranquille.

Pendant 10 ans, entre 1988 et 1996/97 on était peinard, il n’y avait pas de prédation. Le premier lâcher à eu lieu en 1996, et le premier ours à venir en Haute Ariège c’était dans les années 2000 (98-2000 environ). Quand le premier ours est arrivé sur l’estive c’était la panique, on n’était pas du tout habitué à ça. On s’est alors rendu compte que l’ours était un problème énorme, surtout quand il reste en permanence.

La gestion de la montagne est devenue encore plus difficile, car c’est une montagne difficile de base, ajouté à ça les attaques d’ours, ça a crée un stress au niveau du troupeau mais aussi pour le berger et l’éleveur. En 96, personne ne savait ce qui allait se passer, personne ne pouvait donner une opinion.

Le loup est arrivé en 2008. Les attaques de loup c’est pire, il attaque par intermittence, quand il tape ce n’est pas pour qu’une brebis et parfois il tape que pour taper...l’ours aussi remarque...

2010 a été l’année la plus difficile. Au début de la saison, c'est l’ours qui a bien tapé, au milieu de la

saison c’était le loup qui a tapé fort chez un autre éleveur (il a d’ailleurs changé d’estive depuis) et l’ours a de nouveau tapé en fin de saison. Ça a vraiment été l’année la plus pénible pour tout le monde. Je pense que le plus dur ça été pour notre berger de l’époque. On sentait que ça n’allait pas bien du tout, on essayait de monter dès qu’on pouvait, il aurait fallu en permanence quelqu’un avec lui. Il a d’ailleurs fait appel au berger itinérant pour qu’il se sente moins seul et pour avoir un appui moral et physique.

Depuis 2011 on n’est plus que 2 éleveurs, avant on était 3. On a créé un second poste de berger, car c’était mieux à deux pour gérer. Ça ne résout pas les problèmes de prédations, mais ça permet de rassurer les bergers, ils ne sont pas tout seuls, et quand il y a des attaques c’est plus facile à gérer. Et puis il y a aussi le côté moral qui est vachement important et c’est plus pratique au niveau du boulot, sachant que c’est une estive avec beaucoup de dénivelée, pentue et dangereuse. Déjà qu’en temps normal c’est dangereux, alors avec les attaques en plus...il faut préserver la santé des bergers.

On aurait bien aimé trouver une autre estive, mais avec 400 mères et 200 agneaux c’est difficile de trouver localement, ce n’est pas simple et ça ne court pas les rues...On ne peut pas les garder en bas [sur l’exploitation], il n’y a pas d’espace...c’est compliqué...

Jusqu’à présent, les expertises se sont toujours bien passées avec notre berger, c’était toujours très courtois avec les experts. Mais l’an dernier, on a eu au moins 4 attaques (de loup), c’était des nouveaux bergers et ils n’ont pas l’expérience, ils ont contacté les experts mais ça n’a pas été reconnu. C’est passé en commission et ça n’a pas été reconnu en tant qu’attaque.

Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que j’avais fait un courrier un peu salé par rapport au recours gracieux que l’on peut faire dans ces cas là (un terme insupportable). C’est assez grave le fait que ça n’est pas été reconnu, pourtant pendant 13 ans ça l’a été, ça été reconnu comme une attaque de loup. Et là, non...alors est-ce que ça fait désordre le fait que ce soit le loup le responsable ?

 Le dédain de l’administration, ça me... C’est le plus usant, le constat de l’administration qui s’en fout...t'en as marre, 30 ans après l’installation on a l’impression de revenir en arrière... Ce serait plus simple s’ils reconnaissaient qu’il y a le loup là haut, une forme de soutien, d’autant plus qu’on est les seuls à se faire taper. L’administration nous méprise.

Depuis 2008 on a des attaques de loup, ça fait 8 ans qu’il nous attaque, tous les ans. Notre ancien berger en a vus par deux fois, ce n’est pas une meute. Il est très malin, il attaque la nuit ou les jours de mauvais temps. Tu ne peux rien faire. Que ce soit l’ours ou le loup on sous estime leur intelligence, le naturel des animaux sauvages. On est en train de monter une nature artificielle. On croit qu’on peut maîtriser les prédateurs sauvages mais non. Dans l’histoire des prédateurs dans les Pyrénées on ne parle pas assez du boulot du berger, pourtant c’est eux qui sont en première ligne, c’est leur conscience professionnelle qui est chaque fois remise en cause. Sur certaines estives, c’est lui qui est reconnu coupable, alors qu’il fait un sacré boulot avec une pression énorme en plus. Personne ne peut s’habituer à ça. En 2010, notre berger nous a dit : « mon boulot ce n’est pas d’euthanasier les bêtes parce qu’elles sont à moitié bouffées ». Ce sont des bêtes qui étaient en super état, parfois pleine et qui sont gravement blessées, ils doivent les achever parce qu’elles sont à moitié bouffées. Sur notre estive, comme sur les autres estives difficiles, quand il n’y avait pas de prédateurs c’était niquel, les pertes étaient minimes et psychologiquement ça allait pour tout le monde. Normalement, une estive c’est du plaisir pour tout le monde : bêtes et bergers. Maintenant c’est une période où t’as le nœud au ventre, plus personne n’est serein. En temps normal, quand arrive le mois de juin c’est un soulagement parce qu’on sait que les bêtes vont être bien et pour le berger c’est un plaisir. Malheureusement, tout est remis en cause avec la prédation. Pour le moment on est tranquille, à partir de fin juillet ça va être différent.

L’ours a fait de gros dégât, le loup c’est différent, il engendre plus de pression, il peut courser les bêtes pendant longtemps et les envoyer dans un précipice, ce risque là existe toujours. Quand t’as les deux en même temps c'est l’apothéose, on c’était dit qu’on ne remonterait pas... mais bon c’est difficile de trouver une autre estive. C’est difficile d’abandonner l’estive et d’aller voir ailleurs. Avec l’ours, il y a quand même eu des coins d’estives qui ont été délaissés. L’estive c’est la continuité de l’exploitation, si on l’abandonne, on fait quoi des bêtes? On les mets où ? Techniquement ce n’est pas possible, à moins de cesser l’activité. Ce n’est pas pensable qu’on n’y aille pas. Il n’y a pas de solutions. Les parcs de nuits et compagnie, c’est du pipeau. On n’a pas de patous et on ne veut pas en avoir parce que c’est un terrain vachement accidenté, il y a des risques de dérochement, le troupeau n’est pas habitué et en plus il y a beaucoup de monde qui passe avec leGR10 sur le Lanoux. Quant au berger itinérant, il a dit « c’est inhumain ce que vous vivez », depuis, il a arrêté. Les attaques à répétitions rendent le phénomène banal et il y a un certain fatalisme qui s’installe. Le seul moyen de retrouver une sérénité sur les estives c’est de tuer les prédateurs, sinon, ce n’est pas compatible. Encore une fois, il n’y a pas de solutions, s’il n’y a pas de prédateurs tout redevient sympathique. On ne peut pas passer son temps à attendre le prédateur et à le pister. »



20 Juin 2016